Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/356

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sirerais bien qu’un philologue prouvât que ce passage est apocryphe. »

Nous continuâmes à parler de Sophocle, remarquant qu’il cherchait beaucoup moins à donner à ses pièces un but moral qu’à traiter complètement son sujet, en se préoccupant surtout de l’effet théâtral.

« Je ne m’oppose pas, dit Goethe, à ce qu’un poëte dramatique ait devant les yeux un but moral ; mais, lorsqu’il s’agit de développer son sujet devant le regard du spectateur d’une façon claire et riche d’effet, alors le but moral auquel il tend ne lui rend pas grand service, et ce qu’il doit posséder, c’est bien plutôt une grande puissance de peintre et une grande connaissance de la scène, afin qu’il sache ce qu’il doit prendre et ce qu’il doit laisser. Si le sujet peut produire une impression morale, elle se manifestera même quand le poëte n’aurait pensé absolument qu’à écrire une œuvre artistique et capable de produire de l’effet. Si un poëte a l’âme aussi élevée que Sophocle, il peut faire tout ce qu’il voudra, l’effet qu’il produira sera toujours moral. Mais de plus Sophocle connaissait les planches et savait son métier comme pas un. »

« C’est dans son Philoctète, dis-je alors, et dans la grande ressemblance que cette pièce a, pour la disposition et pour la marche de l’action, avec l’Œdipe à Colone, que l’on voit combien il connaissait le théâtre, et combien il visait à l’effet théâtral. Dans les deux pièces nous voyons le héros sans secours, vieux, souffrant d’infirmités corporelles. Pour soutien Œdipe a près de lui sa fille, Philoctète son arc. La ressemblance va plus loin encore. On les a tous deux chassés au milieu de leurs souffrances ; mais, après que l’oracle a dit que par leur secours seulement serait remportée la victoire, on cherche