Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/358

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non moins aimé. Les deux pièces se ressemblent aussi par la réconciliation qui les termine ; les deux héros obtiennent la délivrance de leurs maux ; Œdipe est enlevé au ciel, et la promesse divine nous fait pressentir la guérison que Philoctète trouvera devant Ilion, grâce à Esculape.

« Mais si nous voulons, nous modernes, connaître la manière dont nous devons nous y prendre aujourd’hui pour réussir sur la scène, Molière est l’homme auquel nous devons nous adresser. Connaissez-vous son Malade imaginaire ? Il y a une scène qui, toutes les fois que je lis la pièce, me semble toujours le symbole de la parfaite connaissance des planches. Je parle de la scène où le malade imaginaire demande à sa petite-fille Louison si un jeune homme n’est pas allé dans la chambre de sa sœur aînée. Un autre poëte, qui n’aurait pas su son métier comme Molière, aurait fait raconter par la petite Louison, tout simplement et tout de suite, ce qui s’est passé, et tout était fini. Mais quelle vie, quel effet dans tout ce que Molière invente pour retarder ce récit ! D’abord il représente la petite Louison faisant comme si elle ne comprenait pas son père ; puis elle nie savoir quelque chose ; puis, menacée des verges, elle se laisse tomber comme morte ; puis, comme son père laisse éclater son désespoir, elle sort tout à coup de son feint évanouissement avec toute son espiègle gaieté et enfin tout se raconte peu à peu. Mon explication ne vous donne que la plus maigre idée de la vie de cette scène ; mais lisez-la, pénétrez-vous de sa valeur théâtrale, et vous avouerez qu’elle renferme plus de leçons pratiques que toutes les théories. Je connais et j’aime Molière depuis ma jeunesse, et pendant toute ma vie j’ai appris de lui. Je ne manque pas de lire chaque année