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Dimanche, 1er avril 1827.

Le soir, chez Goethe, j’ai causé avec lui de la représentation de son Iphigénie, donnée hier, et dans laquelle M. Kruger, du théâtre royal de Berlin, a joué Oreste avec grand succès. « La pièce, dit Goethe, a ses difficultés. Elle est riche en vie intérieure, mais pauvre en vie extérieure. Mettre en saillie la vie intérieure, voilà la difficulté. La pièce a pour fond des horreurs barbares de toute espèce, et de ces horreurs sortent les effets les plus

    ne s’expliquent pas avec un plein accord sur le Misanthrope ; tantôt Molière doit avoir retracé le caractère d’un certain courtisan connu pour sa verte rudesse ; tantôt, c’est lui-même qu’il a peint. Il a dû certainement puiser dans son cœur, il a dû retracer ses rapports avec le monde ; mais quels rapports ? seulement les plus généraux. Je parierais qu’en plus d’un endroit tu as deviné les allusions. Ne joues-tu pas le même personnage avec ceux qui t’entourent ? Pour moi, je suis déjà assez vieux, et je n’ai pas encore réussi à me placer à côté des dieux d’Épicure. » (Lettre à Zelter du 27 juillet 1828). — Voir encore sur les Schlegel la lettre du 26 octobre 1851 : « Les frères Schlegel, qui avaient reçu beaucoup de belles facultés, ont été toute leur vie et sont de malheureuses créatures. Ils voulaient paraître avoir plus d’importance qu’il ne leur était donné d’en avoir ; ils cherchaient une influence supérieure à celle qu’il leur était possible d’exercer ; aussi ils ont fait beaucoup de mal dans l’art et dans la littérature. Les artistes et les amis de l’art ne se sont pas encore guéris de leurs fausses doctrines, qui préconisaient, enseignaient et propageaient l’alliance de l’égoïsme avec la débilité. Il faut même laisser debout cette erreur pendant quelque temps, car on plongerait dans le désespoir ceux auxquels on ouvrirait les yeux. En attendant, nous autres, nous sommes réduits à protéger des artistes dont personne ne veut acheter les œuvres, car elles ne disent rien à personne. Aussi nos excellentes Sociétés d’art se moquent honnêtement de nous en mettant en loterie des tableaux que personne ne voudrait acheter ; celui qui les gagne ne sait pas trop s’il doit être content… Frédéric Schlegel s’est asphyxié à force de ruminer ces absurdités sur la morale et la religion que dans sa malheureuse existence il aurait si volontiers communiquées et répandues ; il s’est alors réfugié dans le catholicisme, et dans son naufrage, il a entrainé Adam Müller… » etc. — Voir aussi la Correspondance de Goethe et de Schiller. Les deux amis sont d’accord. Schiller même, avec son caractère plus vif, blâmait la tolérance, parfois presque bienveillante, que Gœthe montrait pour les Dioscures romantiques.