Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/364

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mêler à eux, les interroger, les suivre. On se croyait soi-même entraîné, on était aussi parmi les bienheureux, tant l’artiste avait tout senti avec clarté et profondeur, tant était grande sa puissance pour mettre l’inconcevable devant les yeux. »

— « Vous êtes donc encore des gens sur lesquels on peut arriver à produire une impression ! dit Goethe en riant. Mais allez, continuez ; Kruger a ainsi été réellement bon ? ses ressources physiques sont remarquables ? »

« — Son organe est pur, sonore, très-exercé, et par là capable de la plus grande flexibilité et de la plus grande variété. Sa force physique, son adresse corporelle sont des secours qui l’aident à franchir heureusement toutes les difficultés. Il semble s’être rompu à tous les exercices du corps pendant toute sa vie. »

« Un acteur, à vrai dire, reprit Goethe, devrait aussi prendre des leçons d’un sculpteur et d’un peintre. Ainsi, pour représenter un héros grec, il lui est absolument nécessaire d’avoir bien étudié les statues antiques qui sont parvenues jusqu’à nous, et d’avoir empreint en lui la grâce sans recherche qu’ils avaient dans tous leurs mouvements, soit qu’ils fussent assis, debout ou en marche.

— Et ce n’est pas tout de s’occuper du corps. L’acteur doit, par une étude assidue des meilleurs écrivains anciens et modernes, donner à son esprit un grand développement, ce qui non-seulement l’aidera à comprendre ses rôles, mais répandra sur toute sa personne, sur toute sa tenue une couleur plus noble. — Mais racontez toujours ! Qu’avez-vous encore remarqué de bon en lui ? »

« — Il semble qu’il a une grande affection pour son rôle, il s’était expliqué clairement, par une étude attentive,