Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/391

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reste à Vienne, un autre à Berlin, un autre à Kœnigsberg, un autre à Bonn ou à Dusseldorf, tous séparés les uns des autres par cinquante, par cent milles, et le contact personnel, l’échange personnel de pensées sont des raretés. Je sens ce qui pourrait exister, lorsque des hommes comme Alexandre de Humboldt passent par Weimar, et en un seul jour me font plus avancer dans mes recherches, dans ce qu’il me faut savoir, que je ne pourrais y réussir par des années de marche isolée sur ma route solitaire. — Imaginez-vous maintenant une ville comme Paris, où les meilleures têtes d’un grand empire sont toutes réunies dans un même espace, et par des relations, des luttes, par l’émulation de chaque jour, s’instruisent et s’élèvent mutuellement ; où ce que tous les règnes de la nature, ce que l’art de toutes les parties de la terre peuvent offrir de plus remarquable est accessible chaque jour à l’étude ; imaginez-vous cette ville universelle, où chaque pas sur un pont, sur une place rappelle un grand passé, où à chaque coin de rue s’est déroulé un fragment d’histoire. Et encore ne vous imaginez pas le Paris d’un siècle borné et fade, mais le Paris du dix-neuvième siècle, dans lequel, depuis trois âges d’hommes, des êtres comme Molière, Voltaire, Diderot et leurs pareils ont mis en circulation une abondance d’idées que nulle part ailleurs sur la terre on ne peut trouver ainsi réunies, et alors vous concevrez comment Ampère, grandissant au milieu de cette richesse, peut être quelque chose à vingt-quatre ans. — Vous disiez tout à l’heure qu’il nous était facile de comprendre que l’on pût, à vingt ans, écrire des pièces aussi bonnes que celles de Mérimée. Vous avez raison, et je crois aussi d’une façon générale qu’il est plus facile à un jeune homme d’écrire une œuvre solide