Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/398

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mière scène de la seconde partie de Faust, pourrait être sortie du souvenir de ces impressions produites sur lui par la nature autour du lac des Quatre-Cantons.

« Je ne cacherai pas que ces tableaux viennent de là-bas ; oui, certes, et sans l’impression récente de cette merveilleuse nature, les idées renfermées dans ces tercets ne me seraient jamais venues ; mais ce sont là les seules médailles que j’aie frappées avec le lingot que j’avais trouvé dans le pays de Tell. J’ai laissé le reste à Schiller, qui, vous le savez, en a fait le plus bel usage. »

L’entretien passa à Tasso ; on demanda quelle idée Goethe avait voulu exposer dans ce drame.

« Quelle idée ? dit-il, est-ce que je le sais ? J’avais la vie du Tasse, j’avais ma propre vie ; en mêlant les différents traits de ces deux figures si étranges, je vis naître l’image du Tasse, et, comme contraste, je plaçai en face de lui Antonio, pour lequel les modèles ne me manquaient pas non plus. La cour, les situations, les relations d’amour, tout était à Weimar comme à Ferrare, et je peux dire justement de ma peinture : Elle est l’os de mes os, et la chair de ma chair. — Les Allemands sont, au reste, des gens bizarres ! Avec leurs pensées profondes, avec les idées qu’ils cherchent et qu’ils introduisent partout, ils se rendent vraiment la vie trop dure. Eh ! ayez donc enfin une fois le courage de vous laisser aller à vos impressions, de vous laisser récréer, de vous laisser émouvoir, de vous laisser élever et de vous laisser instruire, enflammer et encourager pour quelque chose de grand ; et ne pensez pas toujours que tout serait perdu, si on ne pouvait découvrir au fond d’une œuvre quelque idée, quelque pensée abstraite[1], — Vous venez me demander

  1. Goethe parle et pense ici tout à fait à la française ; on voit qu’il vient