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AVANT-PROPOS

DE LA SECONDE PARTIE DES CONVERSATIONS
— PUBLIÉE EN 1847 —

Je vois enfin devant moi terminé le troisième volume de mes conversations avec Goethe, promis depuis longtemps ; j’éprouve la joie que donne le triomphe de grands obstacles. J’étais dans une situation très-difficile. Je ressemblais au marin qui ne peut pas faire route par le vent du jour, et qui est obligé d’attendre avec la plus grande patience des semaines et des mois jusqu’à ce que le vent favorable, qui soufflait il y a des années, souffle de nouveau. Dans le temps heureux où j’écrivis les deux premiers volumes, je marchais avec un vent favorable ; les paroles récemment prononcées résonnaient encore dans mes oreilles, et le commerce animé que j’avais avec cet homme extraordinaire me maintenait dans une atmosphère d’enthousiasme, qui m’entraînait en avant et semblait me donner des ailes.

Mais aujourd’hui, déjà depuis bien des années cette voix est muette, et le bonheur dont je jouissais dans ce contact avec sa personne est bien loin derrière moi ; aussi je ne pouvais trouver l’ardeur nécessaire que dans les heures où il m’était donné de rentrer en moi-même, assez profondément pour pénétrer dans ces asiles de l’âme que rien ne trouble ; là je pouvais revoir le passé avec ses fraîches couleurs ; il se redressait devant moi, et