Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/463

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développer d’abord, comme d’habitude, avec une matière grossière et toute terrestre, ont en elles, dès leur naissance, une matière déjà raffinée.

« Une pomme ne vient jamais au milieu du tronc, rude et rugueux. Il faut plusieurs années, il faut les préparatifs les plus soigneux pour faire d’un pommier un arbre portant des fruits et donnant récolte. Chaque pomme étant un corps rond, compacte, exige pour se former une extrême concentration et un extrême raffinement des sucs qui lui arrivent de tous les côtés. — Il faut se représenter la nature comme un joueur qui, devant la table de jeu, crie constamment : au double ! c’est-à-dire ajoute toujours ce que son bonheur lui a donné à sa mise nouvelle, et cela à l’infini. Pierres, bêtes, plantes, après avoir été ainsi formées par ces heureux coups de dés, sont de nouveau remis au jeu, et qui sait si l’homme n’est pas la réussite d’un coup qui visait très-haut ? »

Pendant cette intéressante conversation, le soir était arrivé ; il faisait frais dans le jardin, et nous rentrâmes dans la maison. Bientôt après nous nous mîmes à la fenêtre. Le ciel était parsemé d’étoiles. Les cordes mises en mouvement dans l’âme de Goethe par les objets qu’il avait contemplés dans le jardin vibraient encore, et elles résonnèrent toute cette soirée.

« Tout est si immense, me dit-il, que nulle part il n’y a d’arrêt. Penseriez-vous que le soleil, qui produit tout, en a fini avec la création de son système de planètes, et que la force qui a formé les terres et les lunes, soit en lui épuisée, inactive et inerte ? Pour moi, je ne le pense pas. Il est très-vraisemblable qu’on trouvera encore une plus petite planète au delà de Mercure, déjà assez petit. On voit très-bien, par la situation des planètes,