Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/73

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son être, et plus tard, dans les autres productions, il n’a plus la même riche abondance ; il s’est dépouillé lui-même. Et enfin, pour imaginer, pour ordonner, combiner, nouer, que de temps consumé dont personne ne nous sait gré, en supposant que nous arrivions au bout de notre travail ! Au contraire, si l’on n’invente pas son sujet, si on le prend tout donné, tout est bien différent, tout est bien plus facile. Les faits, les caractères existent déjà, le poëte n’a que la vie à répandre partout. De plus, il reste possesseur de ses propres richesses intérieures, car il n’a à fournir que peu de lui-même. Sa dépense de temps et de force est aussi bien moindre, car il n’a que la peine de l’exécution. Je conseille, oui, même des sujets déjà traités. Combien d’Iphigénies n’a-t-on pas faites, et cependant toutes sont différentes ; chacun a vu et disposé les choses différemment, parce que chacun a suivi ses instincts.

« Ainsi laissez maintenant de côté toute grande entreprise. Vous travaillez péniblement depuis assez de temps ; il faut que vous connaissiez maintenant ce que la vie renferme de joies, et pour cela le meilleur moyen, c’est de vous occuper de petites poésies. »

Pendant cette conversation, nous nous promenions dans sa chambre ; j’approuvais chacune de ses paroles, dont tout mon être reconnaissait la vérité. Je me sentais à chaque pas plus léger et plus heureux, car je dois avouer que je succombais sous le poids de plusieurs grands projets que je ne pouvais parvenir à mettre à exécution. Je les ai maintenant abandonnés, et ils resteront là jusqu’à ce que j’aie du plaisir à reprendre et à tracer chaque partie l’une après l’autre, à mesure que mon expérience de la vie me rendra plus maître de chacun des sujets que j’a-