Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/89

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jouait Jean de Finlande, de madame de Weissenthurn[1].

Je fis à ce drame une remarque. Les types mal dessinés par un poëte gagnent à la représentation, parce que les acteurs, étant des êtres vivants, leur prêtent leur vie propre et leur propre caractère. Au contraire, les types qu’un grand poëte a dessinés dans la perfection, et qui ont un caractère parfaitement accusé, perdent à la représentation, parce que en général les acteurs ne valent pas le personnage et que fort peu savent se dépouiller de leur propre nature. Si l’acteur n’est pas tout à fait semblable au personnage qu’il joue, ou, s’il ne sait pas sortir entièrement de lui-même, le caractère conçu par le poète n’apparaît que mêlé d’altérations qui le gâtent. Il résulte de là que, dans l’œuvre d’un vrai poète, quelques personnages seulement sont représentés tels que le poëte les a rêvés.

Lundi, 3 novembre 1823.

J’allai vers cinq heures, chez Goethe. Comme je montais, j’entendis du bruit et des rires dans le grand salon. Le domestique m’apprit que la jeune dame polonaise avait dîné avec Goethe et que l’on était resté réuni après dîner. Je voulais me retirer, mais il me dit qu’il avait l’ordre de m’annoncer, et que ma venue ferait peut-être plaisir à son maître, parce qu’il était déjà tard. Je le laissai faire, et attendis un instant. Goethe entra bientôt très-gaiement et m’emmena dans sa chambre. Ma visite semblait lui être agréable. Il fit apporter aussitôt une bouteille de vin, et me versa, se versant à lui-même de temps en temps. « Pour ne pas l’oublier, prenez tout

  1. Actrice de Vienne et poêle dramatique très-fécond. Morte en 1847. Ses pièces sont bien faites, sans s’élever au-dessus de la médiocrité.