Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/143

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nombre des plus curieux, des plus remarquables et des plus hardis qui aient été prononcés. — Il perdit ce procès. En descendant les escaliers du tribunal, il rencontra le chancelier qui montait. Beaumarchais devait lui céder la place, mais il s’y refusa, et prétendit que chacun devait céder la moitié du passage. Le chancelier, offensé dans sa dignité, ordonna aux gens de sa suite de repousser Beaumarchais, ce qu’ils firent ; aussitôt Beaumarchais retourne au tribunal, intente un procès au chancelier, et il le gagne.

— J’ai repris mon second Séjour à Rome, continua gaiement Goethe, pour le terminer enfin et passer à autre chose. Comme vous le savez, j’ai rédigé mon Voyage en Italie tout entier sur des lettres… Mais les lettres que j’ai écrites pendant mon second séjour ne sont pas telles que j’en puisse faire un grand usage ; elles parlent souvent de choses trop particulières à Weimar, et montrent trop peu ma vie italienne ; elles renferment cependant mainte assertion qui peint l’état de mon âme à ce moment, aussi j’ai l’intention d’extraire ces passages, et de les enchâsser dans mon récit, qui prendra ainsi du ton et de l’accent. — Dans tous les temps, continua-t-il, on a dit et répété que l’on devait s’efforcer de se connaître. C’est une bizarre exigence, à laquelle personne n’a satisfait jusqu’à présent et à laquelle personne, à vrai dire, ne peut satisfaire. — Tous les sens, toutes les tendances de l’homme le portent vers le monde extérieur qui l’entoure, et il a déjà bien à faire pour le connaître et l’approprier au but qu’il poursuit. Il ne sait sur lui-même qu’une chose : s’il souffre ou s’il a du plaisir, et c’est ainsi qu’il apprend ce qu’il doit rechercher ou ce qu’il doit éviter. Pour le reste, l’homme est une créature obscure qui