Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/157

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exprime comme siennes. Quand il a rendu à son temps ce qu’il en a reçu, il est pauvre. Il ressemble à une source dont l’eau est empruntée, elle coule un certain temps, mais quand le réservoir est épuisé, elle s’arrête. »

Je parlai à Goethe d’un voyageur qui a entendu une leçon de Hegel sur la preuve de l’existence de Dieu. Goethe fut d’accord avec moi que des leçons de ce genre n’étaient plus de notre temps. — « La période du doute est passée, dit-il ; on doute aujourd’hui aussi peu de soi-même que de Dieu. La nature de Dieu, l’immortalité, la nature de notre âme, son rapport avec le corps, ce sont là des problèmes éternels sur lesquels les philosophes ne nous disent rien de nouveau. Un philosophe français de nos jours commence tout tranquillement un chapitre par ces mots : « On sait que l’homme se compose de deux parties : le corps et l’âme. Nous parlerons donc d’abord du corps, puis de l’âme. » Fichte allait un peu plus loin et se tirait un peu mieux d’affaire, en disant : « Nous traiterons de l’homme considéré comme corps et de l’homme considéré comme âme. » Il sentait trop bien qu’un ensemble aussi étroitement lié ne pouvait pas se séparer. Kant a, sans contredit, rendu le plus grand service en marquant le point limité jusqu’où l’esprit humain peut s’avancer, et en laissant de côté les problèmes insolubles. A-t-on assez philosophé sur l’immortalité ! Et jusqu’où est-on allé ? Je ne doute pas de notre durée au delà de la vie, car dans la nature une entéléchie ne peut pas disparaître. Mais nous ne sommes pas tous immortels de la même façon, et pour se manifester dans l’avenir comme grande entéléchie, il faut en être déjà une ici-bas. Pendant que les Allemands se tourmentent à résoudre des problèmes philosophiques, les Anglais, avec leur