Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/19

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taire de Prusse[1] ; d’après tout ce que je sais et j’entends de lui, c’est un homme très-distingué, et il faut cela pour savoir reconnaître, choisir les gens solides et qui ont du talent. Car, on a beau dire, on n’est connu que par ses pairs et le prince d’une grande capacité saura seul bien distinguer et apprécier la capacité de ses sujets et de ses serviteurs. — La porte ouverte au talent ! c’était là, vous le savez, le mot favori de Napoléon, qui avait un tact tout particulier pour choisir les gens, et qui savait placer toute force puissante dans sa vraie sphère ; aussi, dans toutes les grandes entreprises de sa vie, il a été servi comme pas un. »

Goethe, pendant cette soirée, me plaisait plus que jamais. — Tout ce qu’il y avait de plus noble dans sa nature paraissait en mouvement ; les flammes les plus pures de la jeunesse semblaient s’être ranimées toutes brillantes en lui, tant il y avait d’énergie dans l’accent de sa voix, dans le feu de ses yeux. Il me semblait singulier que lui, qui dans un âge si avancé occupait encore un poste important, plaidât avec tant de force la cause de la jeunesse et voulût que les premières places de l’État fussent données, sinon à des adolescents, du moins à des hommes encore jeunes. Je ne pus m’empêcher de lui rappeler quelques Allemands haut placés auxquels, dans un âge avancé, n’avaient paru en aucune façon manquer ni l’énergie ni la dextérité que la jeunesse possède, qualités qui leur étaient nécessaires pour diriger des affaires de toute sorte très-importantes.

« Ces hommes, et ceux qui leur ressemblent, dit Goethe,

  1. Roi en 1840, sous le nom de Frédéric Guillaume IV ; mort en 1862. Il avait reçu, en effet, un esprit très-distingué, mais malheureusement il n’a pas su le diriger.