Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/232

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quand par vos sermons sur les peines épouvantables de l’enfer[1] vous tourmentez tellement les âmes faibles de vos paroisses qu’elles en perdent l’esprit et finissent leur misérable vie dans des maisons d’aliénés ; ou bien lorsque, par tant de vos doctrines orthodoxes, insoutenables devant la raison, vous semez dans les âmes des chrétiens qui vous écoutent le germe pernicieux du doute, de telle sorte que ces âmes, mélanges de faiblesse et de force, se perdent dans un labyrinthe dont la mort seule leur ouvre la porte, que vous dites-vous à vous-même pour ces actes, et quel reproche vous faites-vous ? Et maintenant, vous voulez demander des comptes à un écrivain, et vous damnez un ouvrage qui, mal compris par quelques intelligences étroites, a délivré le monde tout au plus d’une douzaine de têtes sottes et de vauriens qui ne pouvaient rien faire de mieux que d’éteindre tout à fait le pauvre reste de leur méchante lumière. Je croyais avoir rendu à l’humanité un vrai service et mérité ses remercîments, et voilà que vous arrivez et que vous voulez me faire un crime de cet heureux petit fait d’armes, pendant que vous autres, prêtres et princes, vous vous en permettez de si grands et de si forts ! »

Cette sortie fit un effet magnifique sur mon évêque. Il devint doux comme un mouton, et, dès ce moment, se comporta avec moi, dans le reste de la conversation, avec

  1. Dans un article écrit en 1772, Goethe disait déjà : « Il y a des milliers d’âmes qui auraient aimé le Christ comme un ami, si on le leur avait dépeint comme un ami, et non comme un tyran capricieux qui est toujours prêt à foudroyer de son tonnerre tout ce qui n’est pas la perfection absolue. J’ai cette conviction depuis longtemps sur le cœur, et il faut enfin que je l’exprime : Voltaire, Hume, la Mettrie, Helvétius, Rousseau et tous leurs disciples n’ont pas, et de beaucoup, fait à la religion et à la morale autant de mal que les sévérités du malade Pascal et de son école. »