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pour les grands maîtres, et pour apprendre quelque chose. Raphaël leur paraît faible, et Titien n’est à leur goût qu’un bon coloriste.

— « Niebuhr a eu raison, dit Goethe, quand il a vu venir un temps de barbarie. Le voilà déjà, nous y sommes plongés, car en quoi consiste la barbarie, sinon à ne pas distinguer l’excellent ? »

Le jeune ami de Goethe parle du carnaval, de l’élection du nouveau pape, de la révolution qui a éclaté, d’Horace Vernet, qui se fortifie comme un chevalier dans son château ; quelques artistes allemands ne sortent pas de leur maison et se coupent la barbe, ce qui prouve que ces déguisements n’ont pas été très-bien accueillis des Romains. Nous nous demandons si cette folie qui se montre chez ces quelques jeunes artistes allemands a pris son origine dans quelques individus et s’est ensuite répandue comme une maladie intellectuelle contagieuse, ou bien si elle est due à l’esprit général du temps.

« Elle est due à un petit nombre d’individus, dit Goethe ; voilà déjà quarante ans qu’elle dure. La doctrine était : Pour que l’artiste arrive au premier rang, il lui faut avant tout Piété et Génie. C’était là une théorie très-séduisante et on l’accueillit à bras ouverts. Car pour être pieux, il n’y a pas besoin d’étudier ; quant au génie, chacun l’avait reçu en naissant de madame sa mère. Pour être sûr d’avoir beaucoup de succès dans la foule des esprits médiocres, il n’y a qu’à exprimer des idées qui flattent la vanité et la paresse. »

Vendredi, 25 mars 1831.

Goethe m’a montré un élégant fauteuil vert, qu’il s’était fait acheter ces jours-ci dans une vente publique.