Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/329

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Goethe. Mais on peut considérer la Bible sous deux aspects[1]. Sous le premier, d’origine divine, on voit dans la Bible une espèce de religion primitive, religion de la nature et de la raison ; cette manière de voir durera éternellement, toujours la même, et elle conservera sa valeur tant qu’il y aura des créatures douées divinement, mais elle est réservée à des hommes choisis, et elle est beaucoup trop haute et trop noble pour devenir générale. Il y a ensuite le point de vue de l’église, qui est beaucoup plus humain. Il est peu solide, changeant, mobile, et il variera éternellement tant qu’il y aura de faibles créatures humaines. La lumière sans obscurité de la révélation divine est beaucoup trop pure et trop éclatante pour qu’elle convienne aux pauvres et faibles hommes, et, pour qu’ils puissent la supporter, l’église vient comme médiatrice bienfaisante ; elle éteint, elle adoucit cette lumière pour qu’elle puisse aider et protéger beaucoup d’hommes. L’église chrétienne croit que, comme héritière du Christ, elle peut remettre aux hommes leurs péchés ; c’est là pour elle une puissance énorme ; maintenir cette puissance et cette croyance, et affermir ainsi l’édifice ecclésiastique, voilà la principale préoccupation du clergé chrétien. En conséquence, il ne se demande pas si tel livre de la Bible peut jeter de la lumière dans l’esprit, s’il renferme de hautes leçons de moralité, s’il offre des exemples d’une noble existence ; l’important pour

  1. « On dispute et on disputera beaucoup sur l’utilité et sur les inconvénients qu’il y a à répandre la Bible. Pour moi, la question est bien simple. Cette propagation continuera à être nuisible, si on fait de la Bible un usage dogmatique et fantastique ; elle continuera à être utile, si on y cherche seulement des préceptes pour l’esprit et des émotions pour le cœur. — La Bible est un livre digne de respect, considéré dans son ensemble ; utile et pratique, considéré dans chacune de ses parties. » (Pensées.)