Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/34

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« — S’il venait, on le crucifierait encore pour la seconde fois. Mais un si grand événement n’est pas nécessaire. Si on pouvait seulement, en suivant l’exemple des Anglais, donner aux Allemands moins de philosophie et plus d’énergie réelle, moins de théorie et plus de pratique, nous serions déjà presque sauvés, sans avoir besoin d’attendre l’apparition d’un être supérieur comme le Christ. — Beaucoup de bien pourrait se produire par en bas, par le peuple, au moyen des écoles et de l’éducation domestique ; beaucoup de bien pourrait être produit aussi par les souverains et par ceux qui les approchent. Ainsi, je ne peux pas approuver que l’on exige de ceux qui travaillent pour devenir employés de l’État tant de connaissances de théorie scientifique ; on ruine ainsi avant le temps l’esprit et le corps des jeunes gens. Puis, lorsqu’ils arrivent à la pratique du service, ils ont, il est vrai, un bagage énorme de philosophie et d’érudition, mais ils n’en trouvent pas l’usage dans le cercle limité de leur emploi, et toutes ces connaissances, ne servant pas, s’oublient bien vite. — Quant à ce qui leur était nécessaire avant tout, ils ne le possèdent pas ; il leur manque cette énergie d’esprit et de corps qui est absolument indispensable pour faire quelque chose de bon dans toute carrière pratique. Et puis aussi, pour manier les hommes, est-ce qu’un serviteur de l’État n’a pas toujours besoin de dispositions affectueuses et bienveillantes ? Or comment sentirait-on et montrerait-on pour les autres de la bienveillance, quand on n’est pas bien à son aise avec soi-même ? Tous ces gens-là s’arrangent parfaitement mal ! Le tiers de tous ces savants et de tous ces employés enchaînés à leurs bureaux a l’organisation attaquée, et succombe au dé-