Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/343

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« Après être resté longtemps sans pouvoir vous répondre, je vous écris enfin, et à l’improviste.

« Les animaux ont des organes qui savent leur donner « des leçons, » disaient les anciens ; il en est de même pour les hommes, mais ceux-ci ont l’avantage de pouvoir à leur tour donner des leçons à leurs organes. Pour chaque œuvre, pour chaque talent sont nécessaires certaines facultés innées qui agissent spontanément. Comme ces facultés, quoiqu’elles aient une règle intérieure, agissent sans avoir conscience d’elles-mêmes, elles peuvent finir par s’égarer, et s’épuiser inutilement. Plus tôt l’homme s’aperçoit qu’il y a une industrie, un art pour donner à ses facultés innées un accroissement et un développement régulier, plus il est heureux. Tout ce qu’il peut recevoir du dehors n’altérera en rien sa nature propre. Le génie le plus favorisé est celui qui absorbe tout, s’assimile tout, non-seulement sans porter par là le moindre préjudice à son originalité native, à ce qu’on appelle le caractère, mais bien plutôt en donnant par cela même à ce caractère sa vraie force, et en développant ainsi toutes ses aptitudes. — Le travail qui s’accomplit dans toute intelligence créatrice est donc à la fois conscient et inconscient ; les rapports qui naissent entre cette double nature d’opérations sont très-variés. Quand un bon compositeur, par exemple, écrit une grande partition, dans son ouvrage, la réflexion consciente et l’instinct inconscient se mêlent comme la chaîne et la trame, pour employer une comparaison que j’aime beaucoup. La pratique, l’enseignement, la réflexion, le succès, l’insuccès, les encouragements, les résistances, et surtout l’incessant travail de la pensée, exercent sur ce qu’il écrit une action dont il ne se rend