Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/38

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et de quelques autres personnes, et me dit tout bas, le visage troublé : « Votre joie à propos du théâtre est vaine ; il n’y aura pas de représentation ; le grand-duc est mort !… il a succombé hier en revenant de Berlin à Weimar. » — Nous restons tous consternés. — Goethe entre, nous faisons tous comme si rien ne s’était passé et nous parlons de choses indifférentes. — Goethe s’avance près de la fenêtre avec moi et me parle des Tyroliens et du théâtre. — « Vous allez aujourd’hui dans ma loge, me dit-il, vous avez donc le temps jusqu’à six heures ; laissons les autres et restez avec moi, nous bavarderons encore un peu. » — Le jeune Goethe cherchait à renvoyer la compagnie pour préparer son père à la nouvelle avant le retour du chancelier qui la lui avait donnée le premier. Goethe ne comprenait pas l’air pressé de son fils et paraissait fâché. — « Ne prendrez-vous pas votre café, dit-il, il est à peine quatre heures ! » — Cependant on s’en allait, et moi aussi je pris mon chapeau. — « Eh bien ! vous aussi, vous voulez vous en aller ? » me dit-il en me regardant tout étonné. — « Oui, dit le jeune Goethe, Eckermann a aussi quelque chose à faire avant la représentation. » — « Oui, dis-je, j’ai quelque chose à faire avant la représentation. » — « Partez donc, dit Goethe, en secouant la tête d’un air sérieux, mais je ne vous comprends pas. »

Nous montâmes dans les chambres du haut avec mademoiselle Ulrike ; le jeune Goethe resta en bas pour préparer son père à la triste nouvelle.

Je vis ensuite Goethe le soir. Avant d’entrer dans la chambre, je l’entendis soupirer et parler tout haut. Il paraissait sentir qu’un vide irréparable s’était creusé dans son existence. Il éloigna toutes les consolations et