Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/388

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digne de Paris ; la versification n’en est pas mauvaise, çà et là se trouve un trait heureux ; mais partout se montre, comme dans les œuvres de tous ceux qui s’attaquent aux esprits supérieurs, une vulgarité qui rend l’œuvre insupportable et méprisable[1].


FRÉRON, PIRON, POINSINET, MARIVAUX[2].

Fréron. — Homme de tête, d’esprit, pourvu d’une bonne éducation classique, de connaissances variées, mais qui, parce qu’il avait pénétré par l’étude un certain nombre d’objets, crut être capable de les embrasser tous, et, devenu journaliste, se transforma en juge universel. Il chercha surtout à se donner de l’importance par l’opposition qu’il fit à Voltaire ; et son audace dans sa lutte avec cet homme extraordinaire d’une si grande renommée plut au public qui, en effet, ne peut se défendre d’une joie secrète quand il voit rabaisser les hommes supérieurs auxquels il doit tant ; tandis qu’au contraire, il montre de la compassion, de la pitié bienveillante pour la médiocrité quand on la traite avec sévérité. Les feuilles de Fréron firent fortune, et elles méritaient en partie la faveur qu’elles obtinrent. Malheureusement, il se crut dès lors un homme d’une grande importance, et il commença, de sa propre autorité, à se poser en rival des grands

  1. À ce jugement, Goethe a joint la traduction des deux lettres exquises de Voltaire à Palissot.
  2. Ces notices sont aussi extraites des Notes du Neveu de Rameau. Dans ces Notes, Goethe a encore parlé d’un assez grand nombre d’hommes du dix-huitième siècle, plus ou moins connus, (Le Batteux, d’Auvergne, Arnaud, Bouret, Bret, Carmontel, Destouches, Duni, Montesquieu, d’Olivet, etc.), mais il s’est borné à donner les renseignements biographiques les plus succincts, sans y ajouter de réflexions, nouvelles qui puissent servir à le mieux caractériser. — Je dois faire observer que dans la traduction de ces Notes, donnée en 1823 par MM. de Saur et Saint-Geniès, sous le titre séduisant : Des hommes célèbres de la France au dix-huitième siècle et de l’état de la littérature et des arts à la même époque, par M. Goethe, la permission d’amplifier prend des proportions inouïes. Un mot dans l’allemand devient souvent une page entière dans le français. — Ce n’est pas une traduction, c’est un ouvrage original où l’on a pris pour thème quelques indications de Goethe.