Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/397

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les récits, dans les anecdotes, dans les portraits, dans les peintures, dans les jugements, les blâmes étaient bien plus fréquents que les éloges, et la terminologie était bien plus riche en expressions de reproche qu’en expressions de louange. Dans un jour de bonne humeur, je me mis, pour mon instruction personnelle, à réunir toutes ces expressions ; plus tard, moitié par jeu, moitié sérieusement, je les mis en ordre, et je les conservai de longues années ainsi. Quand la correspondance de Grimm fut publiée, je relus avec attention ce document du passé ; je retrouvai tout de suite mainte expression que j’avais déjà remarquée et je fus de nouveau convaincu que le blâme surpassait de beaucoup l’éloge. Je cherchai alors mon ancienne liste, et pour attirer l’attention sur ce point, ce à quoi je réussis, je la fis imprimer. Je dois faire remarquer qu’il ne me fut pas possible à ce moment de réviser mon travail ; aussi on trouve dans ce volumineux ouvrage un grand nombre d’expressions, soit de blâme, soit d’éloge que je n’ai pas indiquées. — Pour que cette critique qui semblait adressée à une nation entière ne reste pas dirigée contre un seul écrivain, je me réserve de traiter bientôt cette importante question littéraire[1].

Le conseiller d’État russe, Ouwaroff, dans la préface de son remarquable ouvrage : Le poëte Nonnos, de Panopolis (Saint-Pétersbourg, 1817), a écrit ce passage si honorable pour l’Allemagne : « La renaissance de la science de l’antiquité appartient aux Allemands. D’autres peuples peuvent avoir fait d’importants travaux préliminaires, mais si la haute philologie se constitue un jour dans sa perfection, c’est l’Allemagne qui verra cette reconstruction s’accomplir. Aussi c’est dans cette langue que se publient presque tous les travaux nouveaux, et voilà pourquoi j’ai écrit en allemand. On a heureusement abandonné aujourd’hui l’idée d’une prééminence scientifique de telle ou telle langue. Le temps est venu où chacun, sans inquiétude sur l’instrument dont il se sert, doit choisir la langue la plus en harmonie avec l’ensemble d’idées qu’il veut traiter. » — Voilà donc un homme capable, spirituel, qui, s’élevant bien au-dessus des misérables bornes que trace un stérile attachement à la langue maternelle, choisit un idiome comme un bon musicien choisit tel ou tel registre d’un orgue pour exprimer tel ou tel sentiment. Puissent, en Allemagne,

  1. Ce projet n’a pas eu de suites.