Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/424

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cun homme ne pourraient le sauver. Un souffle, un signe imperceptible par lequel Marco essayerait d’avertir le comte, serait pour tous deux un arrêt de mort. Dans un monologue habilement développé et rempli d’âme, Marco expose tous les tourments qui le déchirent. — Le comte dans sa tente. Un dialogue entre lui et Gonzague explique sa situation. Plein de confiance en soi, certain d’être indispensable, il ne soupçonne pas le piège mortel qu’on lui tend ; il écarte les inquiétudes de son ami et obéit à l’invitation de se rendre à Venise.

Cinquième acte. — Le comte devant le doge et les Dix. Pour la forme, on l’interroge sur les conditions de paix que le duc de Milan propose, mais bientôt éclatent le mécontentement et les soupçons du sénat ; le masque tombe, le comte est arrêté. — La maison du comte ; sa femme et sa fille l’attendent. Gonzague leur apporte la triste nouvelle. — Le comte dans la prison, avec sa femme, sa fille et Gonzague. Après de courts adieux, il est conduit à la mort.

Tout le monde, sans doute, n’approuvera pas cette manière de composer une tragédie, qui consiste à faire passer devant les yeux un certain nombre de scènes différentes ; pour nous, cette manière originale nous plaît beaucoup. Le poëte ainsi marche toujours à pas rapides ; les personnages succèdent aux personnages, les tableaux aux tableaux, les événements aux événements, sans préambules, sans embarras. Chaque détail apparaît comme l’ensemble, en un instant ; tout vit et tout s’agite, jusqu’à ce que le fil soit déroulé tout entier. Sans être laconique, notre poëte a été court. Son beau talent jette avec aisance sur le monde moral un libre coup d’œil, et les vues qu’il découvre passent rapidement dans l’âme du lecteur et du spectateur. Sa langue est libre, noble, pleine, riche ; elle n’a rien de sentencieux, mais elle est rehaussée de belles et grandes pensées qui sortent naturellement de chaque situation et que l’on rencontre avec plaisir. L’ensemble de ce grand tableau a une physionomie vraiment historique.

Après une aussi longue analyse de la pièce, on attend l’analyse des caractères. Il suffit de parcourir la liste des personnages placée en tête de l’œuvre pour sentir que l’auteur a en face de lui un public disposé à la critique malveillante, et qu’il lui faut dompter peu à peu ; car ce n’est certes point de son propre mouvement qu’il a placé à côté des personnages historiques un certain nombre de personnages qu’il appelle personnages fictifs. Nous