Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/503

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de l’existence ; il aimait tout ce qui a vie sur la terre, et s’intéressait avec bonheur à tout ce qui est ici-bas. Homme du monde, homme de plaisir, il était animé du plus vif désir de charmer en instruisant, et de captiver par ses leçons. Il peint plutôt qu’il ne décrit ; il nous présente les créatures dans leur ensemble ; il se plaît à dire leurs relations avec l’homme ; aussi, après l’homme, il parle immédiatement des animaux domestiques. Maître de tous les faits connus, il ne met pas seulement à profit les naturalistes, il sait aussi tirer parti des résultats fournis par tous les voyageurs. On le voit à Paris, ce grand centre des sciences, intendant du Cabinet du roi, collection déjà importante ; il jouit de tous les bonheurs extérieurs ; riche, appartenant par son titre de comte à la classe la plus élevée ; il montre dans ses rapports avec son lecteur autant de distinction aristocratique que de grâce séduisante.

En étudiant les faits particuliers, il a su s’élever aux vues générales sur l’ensemble ; s’il a dit, sur la question qui nous occupe (Hist. nat., t. II, p. 544) : « Les bras de l’homme ne ressemblent point du tout aux jambes de devant des quadrupèdes non plus qu’aux ailes des oiseaux ; » c’est qu’il parlait au point de vue de la foule, qui considère les objets naturellement et tels qu’ils sont. Mais au fond de lui-même il avait des idées tout autres, car, au IVe volume, p. 379, il dira : « Il existe un dessein primitif et général qu’on peut suivre très-loin ; » et dans ces paroles il a une fois pour toutes établi solidement le principe fondamental de l’histoire naturelle comparée.

Que l’on pardonne ces paroles superficielles, presque criminellement rapides, par lesquelles nous présentons au lecteur un homme d’un pareil mérite ; nous voulons seulement nous convaincre que, malgré le détail infini des faits qu’il a étudiés, il n’a pas négligé les conceptions sur l’ensemble. En lisant ses œuvres, nous voyons qu’il a parfaitement connu tous les grands problèmes de l’histoire naturelle, et qu’il a travaillé sérieusement à les résoudre ; s’il n’y a pas toujours réussi, notre vénération pour lui n’en reçoit aucune atteinte, car nous savons que nous, qui sommes venus après lui, nous crierions trop tôt victoire si nous nous flattions d’avoir répondu à toutes les questions qui l’embarrassaient. Nous devons simplement avouer qu’en cherchant des vues générales Buffon n’a pas dédaigné le secours de l’imagination : il a conquis ainsi, il est vrai, les applaudissements du monde, mais