Page:Edgar Poe Arthur Gordon Pym.djvu/23

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désespoir de la vie du marin, qu’il réussissait à enrôler toutes mes facultés et tous mes sentiments au service de cette romanesque profession. Pour le côté brillant de la peinture, je n’avais qu’une sympathie fort limitée. Toutes mes visions étaient de naufrage et de famine, de mort ou de captivité parmi des tribus barbares, d’une existence de douleurs et de larmes, traînée sur quelque rocher grisâtre et désolé, dans un océan inaccessible et inconnu. De telles rêveries, de tels désirs, — car cela montait jusqu’au désir, — sont fort communs, on me l’a affirmé depuis, parmi la très-nombreuse classe des hommes mélancoliques ; — mais, à l’époque dont je parle, je les regardais comme des échappées prophétiques d’une destinée à laquelle je me sentais, pour ainsi dire, voué. Auguste entrait parfaitement dans la situation de mon esprit. Véritablement il est probable que notre intimité avait eu pour résultat un échange d’une partie de nos caractères.

Huit mois environ après le désastre de l’Ariel, la maison Lloyd et Vredenburg (maison liée jusqu’à un certain point avec celle de MM. Enderby, de Liverpool, je crois) imagina de réparer et d’équiper le brick le Grampus pour une pêche à la baleine. C’était une vieille carcasse à peine en état de tenir la mer, même après qu’on eût tout fait pour la réparer. Pourquoi fut-il choisi de préférence à d’autres bons navires appartenant aux mêmes propriétaires, je ne sais trop, — mais enfin cela fut ainsi. M. Barnard fut chargé du commandement, et Auguste devait partir avec lui. Pendant qu’on équipait le brick, il me pressait souvent avec instance de profiter de l’excellente occasion qui s’offrait pour satisfaire mon désir de voyager. Il me trou-