Page:Edmond Haraucourt Cinq mille ans 1904.djvu/29

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Le professeur se tut : puis il étendit le bras vers la grève, pour autoriser son auditoire à y descendre enfin et à gagner les barques ; lui-même s’achemina avec dignité, et bientôt la compagnie envahissait gaiement les embarcations et s’installait, avec des rires, sur les planches mal équarries.

La flottille se mit en route, et les treize bateaux avançaient de conserve sur le golfe de Paris. La mer continuait à descendre ; les touristes, tendant le cou par-dessus bord, se penchaient pour guetter, au fond de l’eau, la brusque apparition des ruines qui défilaient : les entassements rocheux, noyés dans une lumière liquide et verte, se dessinaient confusément au-dessous des canots ; sur les monuments écroulés, les coups de rame faisaient des tourbillons d’écume et les coques glissaient, où furent les oiseaux.

L’excursion allait droit du Nord au Midi, et, sur l’ordre de l’archéologue, elle se dirigeait vers l’île des Grands-Hommes. Cette traversée d’une mer calme, et par des procédés de navigation tombés en désuétude chez les peuples civilisés, avait pour les touristes l’attrait d’une bizarrerie, et la promenade fut joyeuse. Ceux pourtant qui étaient montés dans la barque du savant obtenaient un supplément de conférence, car le docte personnage n’aimait pas son propre silence.

— Vous le voyez, dit-il, ces eaux sont d’une faible profondeur, mais qui augmente à mesure que nous nous rapprochons du fleuve. Il était fort large et débordait sur les plaines basses, qu’il couvrait de marécages ; bon nombre de maisons durent être construites sur pilotis, et les monuments de réelle importance se réfugiaient sur les hauteurs où ils constituaient des sortes d’acropoles ; il en fut ainsi du moins pendant les premiers siècles, et c’est seulement au début de l’époque républicaine que le fleuve, endigué par des quais dont la trace existe encore, permit d’élever sur ses rives des temples et des palais, dont quelques-uns nous sont connus. Mais l’histoire de tous les peuples nous démontre que les œuvres colossales ne furent jamais inspirées que par la foi religieuse ou l’orgueil