Page:Edmond Haraucourt Cinq mille ans 1904.djvu/44

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— Un peu d’azotate vanillé ?

— Avec plaisir.

— Ce phosphate au piment est d’une saveur…

— J’ai là certain chlorure, dont vous me direz des nouvelles !

On suçait les pastilles, et l’on buvait, par gorgées, fréquentes et courtes, l’eau des flacons dosés qu’on débouchait à chaque instant ; quelques personnes, d’estomac plus débile, faisaient dissoudre les sels dans l’eau de leur gobelet, et avalaient ce breuvage.

Un des voyageurs tendit la main vers un bouton de la paroi.

— Vous permettez ?

— Très volontiers : un peu de musique plaît toujours.

Sous le doigt qui l’effleurait, un ressort se déclencha, et les discrètes harmonies d’un orchestre qui serait lointain s’émurent lentement dans le wagon : un système très simple, qui s’actionnait sous la pression d’air causée par la vitesse du train, faisait jouer l’appareil musical, dont les registres changeaient à volonté.

— Oh ! nous n’allons pas vite !

En effet, l’air musical était de mode lent.

— Nous devrions, réglementairement, faire quinze ocles par cyde.

L’ocle océanien équivalait à un peu plus de dix mètres, et le cyde représentait une demi-seconde : le train couvrait donc notre kilomètre moderne en trois secondes environ, c’est-à-dire avec une vitesse presque analogue à celle de la rotation terrestre en cette latitude ; l’espace parcouru était donc de quinze degrés à l’heure, en sorte que le train, lancé en droite ligne, dans la direction de l’Ouest, mais obliquant légèrement vers le Sud, suivait assidument le coucher du soleil, et l’astre rouge restait pour lui à la même hauteur au-dessus de l’horizon. Vingt minutes après le départ de Montmartre, les wagons passaient sur l’estuaire de la Loire.