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— Une terre, sur notre gauche !

— L’ancienne Espagne : vous devez même apercevoir, au loin, les derniers contreforts des Pyrénées.

— Dans une heure, nous arriverons sur les Açores.

— C’est lent.

On arriva sur les Açores. Les conversations avaient langui. Plusieurs touristes somnolaient. Quelques-uns, ayant relevé le pied de leur siège, s’étaient allongés pour dormir. Ceux qui jetaient encore un coup d’œil aux hublots y renoncèrent sachant que désormais la mer seule s’éploierait sous eux, pendant des heures. Dans un dernier regard au soleil, qui planait toujours à la même hauteur sur un horizon curviligne, ils s’assoupirent à leur tour.

Ceux qui dormaient mal constatèrent, après cinq heures de route, qu’on rasait les Antilles, sur qui le soleil se couchait.

— Dans un moment, au cap Gallinas, nous serons à mi-chemin.

— Seulement ?

Une heure après la Martinique, ils virent l’isthme de Panama, qu’ils franchirent en quatre minutes ; une heure après, les îles Galapes, où l’on changeait d’hémisphère, et brusquement l’été devint hiver : personne d’ailleurs ne sut rien, et, de nouveau, ce fut la mer, infiniment ronde, infiniment nue.

La plupart des volets furent fermés sur les hublots ; pendant quatre heures, personne ne parla plus.

Enfin, l’aérotram s’arrêta :

— Tahiti !

On mit pied à terre. Les excursionnistes, s’étirant les membres et se frottant les yeux, virent le rouge soleil qui descendait sur des paysages familiers ; en dépit de leur lassitude, ils lui sourirent, dans l’exquise sensation de rentrer chez soi, où l’on est mieux qu’ailleurs : car ces hommes d’alors, bien qu’ils fussent des nègres blanchis, nous ressemblaient de maintes manières, et savaient aussi bien que nous savourer le plaisir d’en avoir fini avec un plaisir insolite.


EDMOND HARAUCOURT.