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Page:Edmond Haraucourt Le Dernier Pape 1903.djvu/3

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LE DERNIER PAPE

aucun souci de s’entendre l’un l’autre, puisqu’ils parlaient tous à la fois. Ils ne se dérangèrent point à mon entrée, sauf un qui se leva, et me dit : « Nous prions. »

Puis il s’écarta du chevet et j’aperçus le malade.

C’était un vieillard glabre, au large front, aux yeux noirs et brillants, illuminés de fièvre ou de pensée ; les arcades sourcilières étaient musclées d’énergie, et les tempes maigres portaient en creux le coup de pouce du génie. Il regardait le plafond de la chambre, et ses lèvres remuaient en silence.

L’homme qui déjà m’avait parlé se tourna vers moi de nouveau et dit : « Permettez que le Saint-Père achève son oraison. »

Vous ignorez sans doute, comme je l’ignorais, ce qu’est une oraison ; ce mot a servi, paraît-il, à désigner une sorte de monologue mystique, qu’on improvise ou qu’on récite, et dans lequel l’orateur suppose qu’il s’adresse à la divinité de son choix.

Comme il convient, en somme, de se prêter, autant qu’on le peut, aux fantaisies de la clientèle, j’attendis la fin de l’oraison.

Après quelques instants, le malade souleva péniblement sa tête, enfoncée dans les coussins, puis il étendit le bras droit, et fit, avec deux doigts, un signe mystérieux, dans l’air, au-dessus des gens agenouillés ; ensuite il posa ses regards sur mes yeux, et ne bougea plus.

Il souriait et dit : « Je pense, Monsieur, que la science ne pourra rien pour moi. »

Je l’examinai. Il n’avait plus que peu de moments à vivre. Je ne le dis point, mais il me répondit : « Je le sais. »

Il s’efforça de s’accouder sur le lit, et retomba. Alors, tout de son long étendu, et la face directe, sans regarder personne, il parla droit devant lui.

— Je vous remercie, monsieur, d’être venu ; et vous, mes frères, adieu. Ne pleurez pas sur moi, mais sur Eux. Je vous bénis, au nom du Père, du Fils…

Il voulait, je crois, ajouter quelque autre mot encore, mais il n’en eut pas la force. Un des assistants continua : « Et du Saint-Esprit. » Tous répliquèrent ensemble : « Ainsi soit-il. » Ils se levèrent simultanément, et personne ne parla plus.