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Page:Edmond Haraucourt derniere-neige.djvu/13

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tat la transformation des organes eux-mêmes. La taille de ces derniers humains — comme si elle eût participé à la réduction du monde habitable — était très inférieure à la nôtre : les plus forts atteignaient à peine les dimensions d’un enfant de dix ans ; mais leur boîte crânienne s’était démesurément amplifiée ; leur lourde tête, montée sur un cou grêle et fragile, oscillait sans cesse. L’ossature de ces corps qui, depuis tant de générations, avaient héréditairement perdu l’accoutumance de tout effort physique, s’était appauvrie à l’extrême ; leur musculature ne s’était pas moins atrophiée ; les membres étaient minces et courts : deux bras impropres au travail, deux jambes impropres à la marche, avec des pieds infimes ; en revanche, les mains s’étaient singulièrement déformées : la paume, aveulie par l’ignorance de toute action énergique, ne servait plus que de support à des doigts très longs et spatulés comme des doigts de violonistes : l’habituelle pression des claviers, des boutons, des manettes, des leviers avait fini par les rendre beaucoup plus aptes que les nôtres au maniement des outils délicats, mais inaptes à tout autre travail. Les machines sans nombre inventées par le génie de l’homme pour réduire au minimum la dépense de ses forces animales, savaient depuis longtemps le dispenser de tout labeur : motion ou locomotion étant la tâche des mécaniques dont il s’entourait, le maître avait subi le châtiment de son oisiveté : il s’étiolait. N’agissant plus, ne mangeant plus, buvant peu, ne respirant guère, toujours assis ou couché devant ses appareils, il avait la poitrine étriquée, l’intestin raccourci mais le ventre ballonné. Si ses os étaient frêles, ses articulations apparaissaient énormes, nouées par un arthritisme congénital ; et il vivait peu d’années.

Edmond HARAUCOURT.
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