Page:Edmond Haraucourt derniere-neige.djvu/5

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partie du globe, la plus jeune, est restée longtemps la plus fertile, engraissée qu’elle était par les détritus de la mort septentrionale. Longtemps on a pu y voir les manifestations ultimes de la vie animale et végétale : en des endroits privilégiés, des pins et des érables se hissaient encore, pareils à des brins d’herbe ; quelques bouleaux et de misérables chênes atteignaient la hauteur de nos blés. Mais tout cela, peu à peu, a péri. Les races d’animaux sauvages, sans refuge et sans nourriture, ont été abolies l’une après l’autre. Les rennes, qui savent découvrir les pousses de lichen, et les loups, qui chassent les rennes, survécurent un moment ; quelques ours qui erraient encore parmi les neiges et les derniers condors tombèrent à leur tour. Quant aux espèces domestiquées, trois ou quatre avaient résisté, grâce à la protection de l’homme, qui leur procurait auprès de lui un abri souterrain et une pâture chimique ; mais les plus vivaces s’anémiaient  ; il ne restait plus que de rares couples de bisons, descendus à la taille des molosses, et plusieurs chiens de montagne, gros à peine comme nos chats.

Pourtant la mort de ce globe qui n’en peut plus vient de rencontrer un obstacle : le génie de l’homme.

Au reste, la population humaine, réduite à quelques millions de créatures, ne comportait plus que deux peuples à qui des identiques conditions de vie imposaient des régimes sensiblement pareils. Dans un pays comme dans l’autre, les foules se massaient, enfouies en des villes profondes qui n’étaient en réalité que d’énormes fourmilières, artificiellement aérées et éclairées. Nul n’en sortait pour son plaisir, puisqu’il y avait péril de mort à s’aventurer sur l’écorce terrestre, où l’air manquait : on n’y accédait qu’à l’aide de scaphandres, analogues à ceux qui nous servent aujourd’hui pour descendre sous l’eau ; un voyage à la surface était une forme de suicide, d’ailleurs très exceptionnelle, car les issues étaient soigneusement calfeutrées et gardées par les agents de l’État. Force était ce-