Page:Edmond Haraucourt derniere-neige.djvu/9

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Pour vous dédommager des jours froids que nous vivons, en vous laissant voir que peut-être il y en aura de pires, et pour que, par comparaison, vous trouviez quelque charme aux vicissitudes de l’existence présente, je vous ai proposé un voyage aux extrêmes confins de l’avenir : Refroidissement du globe terrestre, l’agonie de la planète uniformément solidifiée sous son enveloppe de neige… L’homme, si dégénéré qu’il fût, avait cependant moins souffert que les autres espèces, puisqu’il persistait à survivre. Confiné sur la zone équatoriale, il avait dû la creuser pour se réfugier sous terre. Ce troglodyte de la dernière heure n’était ni beau ni bon. Tout son corps était blême et glabre. Les crânes chauves et les visages ne présentaient plus trace d’aucun duvet ; même dans la jeunesse, l’épiderme de ses femmes ressemblait à un papier de soie qu’on a froissé. Les dents, inutiles, étaient tombées ; le maxillaire inférieur, mis hors d’usage par l’habitude de déglutir sans mâcher, s’était amenuisé au point de ne plus offrir, de profil, que le prognathisme d’un menton court et fuyant ; la bouche, fente étroite aux lèvres minces, faite pour la succion des tubes ou l’avalement des pilules, ne servait plus guère à la parole, trop fatigante dans l’air raréfié ; le nez s’était amoindri comme elle, tandis que les narines, accommodées à la fonction de surveiller la présence éventuelle des gaz délétères et à l’effort permanent d’aspirer la sécheresse de l’air, levaient leurs ailes vers les yeux et ouvraient le plus largement possible leurs fosses racornies. La partie inférieure du visage, ainsi atrophiée, semblait s’écraser sous le poids d’un front énorme, en sorte que les orbites se trouvaient descendues au milieu de la face. Les yeux, privés de cils, clignotaient ; l’iris, très large et brillant d’une pensée aiguë, était d’un gris dur ; la pupille, condamnée à passer des ténèbres totales à la clarté trop vive, rappelait celle des chats, tour à tour ronde ou filiforme, et l’expression du regard était cruelle.