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— Ça ne fait rien ! Je ne voudrais pas, moi, épouser un pareil individu.

— Bah ! Tous les hommes se valent. Est-ce que ton Gérard d’Herblay, dont tu faisais ton Dieu, ne mène pas la même vie, malgré qu’il soit fiancé à une jeune fille charmante ?

— Pauvre garçon ! Il essaye d’oublier…

Laure partit d’un grand éclat de rire.

— Ah non ! vraiment c’est trop drôle ! ce monsieur essaie d’oublier. Et il va se marier dans cinq jours. Laisse-moi donc tranquille. Il n’est pas plus intéressant que mon fiancé à moi. Il est seulement plus hypocrite !

Cette conversation, cependant, avait ouvert à Laure des horizons nouveaux. Et elle avait conçu un plan pour amener son futur époux à passer par où elle le voulait.

Un soir elle sortit de chez elle, sans rien dire à sa tante. Elle savait à peu près où rencontrer Albert Duchemin, qui ne quittait pas certains établissements de nuit.

Et elle se rendit dans un café de Montmartre. Une curiosité mauvaise l’y poussait. Elle voulait saisir ce qu’étaient ces femmes avec lesquelles les fiancés et les maris trompaient leurs fiancées et leurs épouses, elle se demandait comment ces filles attiraient et retenaient les hommes et elle voulait se mêler à elles.

Laure n’eut pas de peine à engager la conversation avec deux ou trois femmes. Mais elle fut étonnée de la trivialité de ces amoureuses vénales ; elle fut surprise, voyant qu’elles étaient presque toutes moins belles que les femmes honnêtes qu’elles supplantaient, et elle en conçut un dédain plus grand pour les hommes.

Cependant, ceux qui la voyaient, la dévisageaient, tous la provoquaient, lui adressaient des invites dans un langage cru qui la blessait malgré tout.

Puis elle s’amusa du spectacle de ce milieu nouveau pour elle. Son fiancé qu’elle s’attendait à voir survenir d’un moment à l’autre n’arrivait pas, une idée bizarre lui passa par la tête : elle voulut se jouer d’un de ces hommes qui la regardait insolemment, la confondant avec celles qui l’entouraient.

Et comme un des clients de l’établissement s’asseyait à côté d’elle, en lui disant :

— Eh bien ! La jolie fille ! On s’ennuie toute seule ?

Au lieu de le rabrouer, ainsi qu’elle avait fait aux autres, elle lui répondit en souriant :

— Vous voulez me tenir compagnie ?