Page:Eekhoud - Kermesses, 1884.djvu/117

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sentaient le Fleuve et les Génies du commerce et des arts. Aux quatre coins de chaque étage brûlaient des cassolettes remplies d’essences résineuses dont la fumée spiralait vers le ciel.

Isolée, debout, adossée à une manière d’autel antique, la Pucelle d’Anvers trônait sur la plate-forme du faîte. Une large faille rouge et blanche la ceignait en écharpe ; partant de l’épaule droite pour se nouer sur la hanche gauche d’où elle retombait jusqu’au plancher. Un maillot l’emprisonnait depuis la naissance des seins ; il jouait la chair si bien que les parties non enveloppées par la draperie semblaient complètement nues. Une couronne murale incrustée de happelourdes la coiffait, et les longs cheveux noirs, luxuriants, déroulaient leurs anneaux plus bas que la ceinture. Les pieds s’entortillaient dans des bandelettes rouges. Une main tenait le caducée et l’autre reposait sur l’écusson d’Anvers au château blanc flanqué de deux poings coupés, sur fond de gueule.

Un formidable Noël monta de la foule. Les spectateurs discernèrent peu à peu les formes à la fois florissantes et harmonieuses de la Pucelle et un murmure d’admiration croissante courait de bouche en bouche.

Rosa Valk incarnait fièrement la Reine de l’Escaut, l’Artiste, la Riche, la Belle…

L’apothéose la transfigurait. Sa personnalité terrestre s’évanouissait pour s’imprégner de l’illusion du rôle. Le cramoisi intense de ses joues se fondait jusqu’à n’être plus qu’un vague incarnat. Une majesté, un air de dédaigneuse réserve ennoblissait les linéaments vulgaires et