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Page:Eekhoud - Kermesses, 1884.djvu/159

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Kors, de plus en plus amoureux de sa femme, présidant, à l’autre bout de l’attablée, le coin des hommes, à côté de ces dédaigneux piaffeurs dejadis, Odo et Freek, les fils Verhulst, coule vers la grassouillette Rika ses regards luisants et convoiteux, et sa langue pointe sensuellement aux commissures des lèvres. Rasé de frais, rouge, hilare, engoncé dans son sarrau turquin, il se pelotonne comme un heureux matou. De ragoûtantes vapeurs de victuailles saturent la grande pièce et amortissent les métaux de la cheminée, le christ, les chandeliers, les plateaux, l’ancien orgueil de Rika, la proprette.

Hardie ! Longtemps les convives taillent, bâfrent, dépècent à leur faim sans souffler mot. Ensuite viennent les rasades, car il s’agit de tasser dans le bedon cette charge de viandes grasses. La farineuse pomme de terre du Polder pousse à la boisson ! Puis, ne faut-il pas arroser de généreuses lampées les avaloires débagoulant des propos aussi salés que les flots de l’Escaut ?

Maintenant, aux femmes, on a servi du café avec des tartines de pain doré moucheté de raisins de Corinthe. Les hommes détachent, non sans effort, leur fessier de leur chaise, chargent leur pipe et se mettent à fumer, silencieux et béats, tandis que les vieilles brêche-dents et les dirnes aux blanches quenottes jacassent comme chouettes avec linottes.

Et dans le crépuscule tombant, se noient lentement les maisons basses de la paroisse, au pied du clocher levé vers le ciel, comme le doigt vigilant de Dieu. En attendant que les bugles et les violons s’éveillent au Cygne d’Or, où la baezine Davie brûle de conduire son