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Page:Eekhoud - Kermesses, 1884.djvu/82

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des trembles. L’horizon se désempourprait au-dessus des remparts. Durant tout le trajet, mon père était resté plongé dans une sorte de prostration ; ses mains que je caressais étaient moites, tour à tout brûlantes et glacées. Il ne sortait de sa torpeur inquiétante que pour glisser ses doigts dans mes cheveux et me sourire avec une expression que je n’ai plus rencontrée sur aucun visage ami. Yana, aussi, avait l’air triste maintenant et tirait prétexte de la poussière soulevée par le vent pour appliquer continuellement son mouchoir à ses paupières.

J’étais fatigué, grisé par le plein air, et pourtant, j’eus peine à m’endormir cette nuit. Je rêvais toujours les yeux ouverts, aux incidents de la journée, à la ferme, à l’obligeant Jan, au joyeux repas, à la chevrette, au jour prochain où je serais « boer Jorss », comme disait le brave gars… J’étais heureux, mais par moments un accès de toux graillonnant dans la chambre voisine, me suffoquait moi-même et je me remémorais alors la scène dans le jardin, l’accompagnement que l’orgue faisait à notre silence et plus tard à ces deux mots : « Mon Repos ! »… Je ne fermai l’œil qu’au matin.

Lorsque je me réveillai, l’oncle m’attendait déjà. Ancien officier, il ne connaissait que l’heure militaire.

— En route ! commanda-t-il de sa grosse voix de dur-à-cuire. Il s’agit de retourner à la besogne, mon garçon…

Encore partir ? Au fait, pourquoi cette séparation de huit jours ? Que signifiait le ton autoritaire de ce parent dans la maison paternelle, dans notre maison ? Pourquoi Yana le consultait-elle du regard, à la fois respectueuse