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Page:Eekhoud - La nouvelle Carthage.djvu/16

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LA NOUVELLE CARTHAGE

dant. Et quelle douceur inaccoutumée dans cette voix et dans ces yeux ! Intonations et regards rappelaient à Laurent l’accent et le sourire de Jacques Paridael. À tel point que Lorki, c’est ainsi que l’appelait le doux absent, reconnaissait à peine dans le cousin Dobouziez semonçant sa petite Gina, le même éducateur rigide qui lui avait recommandé à lui, tout à l’heure, durant la douloureuse cérémonie, de faire ceci, puis cela, et tant de choses qu’il ne savait à laquelle entendre. Et toutes ces instructions formulées d’un ton si bref, si péremptoire !

N’importe, si son cœur d’enfant se serra à ce rapprochement, le Lorki d’hier, le Laurent d’aujourd’hui, n’en voulut pas à sa petite cousine d’être ainsi préférée. Elle était par trop ravissante ! Ah, s’il se fut agi d’un autre enfant, d’un garçon comme lui par exemple, l’orphelin eût ressenti, à l’extrême, cette révélation de l’étendue de sa perte ; il en eût éprouvé non seulement de la consternation et du désespoir, mais encore du dépit et de la haine ; il fût devenu mauvais pour le prochain privilégié ; l’injustice de son propre sort l’eût révolté.

Mais Gina lui apparaissait à la façon des princesses et des fées radieuses des contes, et il était naturel que le bon Dieu se montrât plus clément envers des créatures d’une essence si supérieure !

La petite fée ne tenait plus en place.

— Allez jouer, les enfants ! lui dit son père en faisant signe à Laurent de la suivre.

Gina l’entraîna au jardin.

C’était un enclos tracé régulièrement comme un courtil de paysan, entouré de murs crépis à la chaux sur lesquels s’écartelaient des espaliers ; à la fois légumier, verger et jardin d’agrément, aussi vaste qu’un parc, mais n’offrant ni pelouses vallonnées, ni futaies ombreuses.

Il y avait cependant une curiosité dans ce jardin : une sorte de tourelle en briques rouges adossée à un monticule, au pied de laquelle stagnait une petite nappe d’eau, et qui servait d’habitacle à deux couples de canards. Des sentiers en colimaçon convergeaient au sommet de la colline d’où l’on dominait l’étang et le jardin. Cette bizarre fabrique s’appelait pompeusement « le Labyrinthe. »

Gina en fit les honneurs à Laurent.

Avec des gestes de cicérone affairé, elle lui désignait les objets. Elle le prenait avec lui sur un ton protecteur :

— Prends garde de ne pas tomber à l’eau !… Maman ne veut pas qu’on cueille les framboises ! Elle riait de sa gaucherie. À deux ou trois phrases peu élégantes qui sentaient leur patois, elle le corrigea. Laurent, peu causeur, devint encore plus taci-