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Page:Eekhoud - La nouvelle Carthage.djvu/170

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LA NOUVELLE CARTHAGE

Laurent essaya de protester, mais comme les yeux clairs et fermes de la digne femme continuaient de scruter les siens, il rougit et baissa même la tête.

— Et cela parce que vous en aimez une autre ! poursuivit Siska. Je vous dirai même quelle est cette autre : votre cousine Gina, devenue Mme Béjard… Vous ne le nierez pas. Croyiez-vous donc pouvoir me cacher ce secret ? Votre trouble lorsqu’on parlait de Mme Béjard ; votre affectation, à vous, de ne jamais en parler, l’aurait révélé à des devineresses moins adroites que moi ? Oui, Henriette elle-même a su de quel côté tendait votre réel amour… Certes, vous chérissez notre enfant… Sous l’impulsion de vos sentiments généreux vous seriez prêt à épouser la petite. Mais au fond, vous auriez continué de préférer l’autre. Son souvenir se serait placé entre Henriette et vous. Et ni vous ni votre femme n’auriez rencontré le bonheur que vous méritez tous deux… Aussitôt que ma fille a soupçonné votre passion pour Mme Béjard, j’ai achevé de lui dessiller complètement les yeux et suis parvenue à la guérir de son amour pour vous… Ah, il le fallait ! Je mentirais en disant que la guérison a été facile… Laurent, si vous me jurez que vous aimez réellement Henriette et qu’elle est à la fois la préférée de votre cœur et de votre chair, je suis encore prête à vous la donner ! En agissant autrement, je serais deux fois mauvaise mère…

Pour toute réponse, le gars sauta au cou de sa clairvoyante amie et lui confessa longuement ses peines et ses postulations contradictoires.