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Page:Eekhoud - La nouvelle Carthage.djvu/218

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V

Les « Runners ».


Laurent se rapprocha même de ces écumeurs de rivière, squales d’eau douce, sinjoors ou runners que l’honnête Tilbak tenait à distance, modèles que le peintre Marbol répudiait comme trop faisandés.

Engeance topique entre toutes, la plupart voient le jour ou ce qui en tient lieu, dans les ruelles batelières, au fond d’une boutique de mareyeur ou sous le toit d’une herberge cosmopolite. Impasses, culs-de-sac où la marmaille grouille et pullule tellement, qu’on croirait les marchands d’anguilles et de moules aussi prolifiques que leurs marchandises. Les fièvres paludéennes et les contagions balayent ces morveux par portées entières, les lourds chariots des Nations en rouent au moins une couple chaque semaine ; le lendemain, ils foisonnent en rassemblements aussi compacts que la veille. Toutefois, les unions légitimes des pêcheurs et des poissonniers ne suffiraient pas à encrasser de ce varech humain le pavé de ces habitacles. Des amours aussi passagères et aussi capricieuses que celles des plantes, président à la propagation de l’espèce. Tels fils de servante blonde, comme la blonde Germanie, héritèrent du teint citronneux et des sourcils noirs de leur père, le timonier italien échoué une nuit chez le logeur allemand, baes de cette Gretchen. Ces boulots de complexion apparemment septentrionale proviennent du croisement furtif d’un lamaneur hollandais et de la pensionnaire d’une posada espagnole[1].

  1. Voir les Milices de St-François.