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Page:Eekhoud - La nouvelle Carthage.djvu/26

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III

La Fabrique.


Félicité finit par fermer à clef, pendant le jour, la mansarde du solitaire et l’envoyer jouer au jardin. Celui-ci avait été réduit d’emprise en emprise aux dimensions d’un préau. Des fenêtres de la maison les yeux de l’espionne pouvaient en fouiller les moindres recoins. Aussi, las de cette surveillance, le gamin incursionna sur le territoire même de l’usine.

Les quinze cents têtes de la fabrique se courbaient sous un règlement d’une sévérité draconienne. C’étaient pour le moindre manquement des amendes, des retenues de salaire, des expulsions contre lesquelles il n’y avait pas d’appel. Une justice stricte. Pas d’iniquité mais une discipline casernière, un code de pénalités mal proportionnées aux offenses, une balance toujours penchée du côté des maîtres.

Saint-Fardier, un gros homme à tête de cabotin, olivâtre, lippeux et crépu comme un quarteron, parcourait, à certains jours, la fabrique, en menant un train d’enfer. Il hurlait, roulait des yeux de basilic, battait des bras, faisait claquer les portes, chassait comme un bolide d’une salle dans l’autre. Au passage de cette trombe s’amoncelaient la détresse et la désolation. Par mitraille les peines pleuvaient sur la population ahurie. La moindre peccadille entraînait le renvoi du meilleur et du plus ancien des aides. Saint-Fardier se montrait aussi cassant avec les surveillants qu’avec le dernier des apprentis. On aurait même dit que s’il lui arrivait de mesurer ses coups et de distinguer ses victimes, c’était pour frapper de préférence les vieux serviteurs, ceux qu’aucune punition n’avait encore