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Page:Eekhoud - La nouvelle Carthage.djvu/52

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LA NOUVELLE CARTHAGE

ade », des yachts d’amateurs et de sportsmen, gréés et taillés pour la course, et des paquebots offrant aux désœuvrés de la petite bourgeoisie des traversées à prix réduit vers les principaux villages riverains.

Des « sociétés » entières, endimanchées, accompagnées de fanfares s’embarquaient à bord de ces petits vapeurs. Une grosse gaîté bourrue et démonstrative, une hâte, une fièvre, émoustillait tout ce peuple émancipé, cette légion de navigateurs d’occasion, de marins novices. Les familles se ralliaient sur le rivage avec des exclamations à propos de bagages oubliés dans un estaminet. Et les orphéons s’enlevaient en pas redoublés allègres, après le coup de canon du départ, tandis que l’un ou l’autre paquebot, démarré, quittait la rive et virait majestueusement, avant de gagner le milieu du courant.

Le yacht à vapeur sur lequel étaient montés les Dobouziez et leurs invités, appartenait à M. Béjard, gros armateur et négociant de la ville, un des hommes les plus importants de sa caste. Il avait mis son élégant et spacieux bateau à la disposition des Dobouziez et accepté en échange leur invitation à la partie de campagne.

Le yacht leva l’ancre, à la grande et candide joie de Laurent.

L’Escaut ! Comme le gamin le retrouvait avec émotion ! Encore une ancienne et bonne connaissance du vivant de son père ! Combien de fois ne s’étaient-ils pas promenés, les deux Paridael, sur les quais plantés de grands arbres en faisant halte de temps en temps dans une de ces « herberges » tellement achalandées, le dimanche après-midi, que la porte ne suffisant pas à l’afflux des consommateurs, ils pénétraient par les fenêtres en gravissant un petit escalier portatif appliqué contre le mur au dehors. Là, si on trouvait moyen de s’attabler, qu’il faisait bon suivre le mouvement des flâneurs sur la rive et les voiles sur l’eau ! Quelle douce fraîcheur à la tombée du jour ! Que d’années écoulées maintenant sans avoir revu ce fleuve tant aimé !…

Mais c’est la première fois que Laurent navigue et les impressions nouvelles amortissent ses regrets.

Le vapeur, après avoir tourné une couple de fois sur lui-même avec la coquetterie d’un oiseau qui essaie ses ailes avant de prendre son essor, a trouvé sa voie et s’éloigne délibérément, sous la pression accélérée de la vapeur. Le panorama de la grande ville se développe d’abord dans toute sa longueur et accuse ensuite les proportions audacieuses et grandioses de ses monuments. C’est comme si elle sortait de terre : les arbres des quais élancent leurs cimes feuillues, puis