Page:Eliot - Daniel Deronda vol 1&2.pdf/125

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été possible à un être vivant de paraître plus absolument dépourvu d’animation. Dans sa tenue, Grandcourt n’affectait aucune raideur ; c’était plutôt de la langueur. Son teint avait la blancheur fanée de celui d’une actrice quand elle a enlevé son blanc et son rouge ; ses longs yeux gris n’exprimaient que l’indifférence. Essayer de décrire un être humain, vouloir le détailler, serait absurde. Je me contente de mentionner les contrastes qu’aperçut Gwendolen dans les premiers instants de sa rencontre avec Grandcourt. Ils se résumaient en ces mots : « Il n’est pas ridicule. » Dès que lord Brackenshaw se fut éloigné et que leur entretien eut commencé, Grandcourt examina Gwendolen avec une persistance agaçante, et sans qu’un changement d’expression se produisît sur son visage ; elle l’explorait de son côté, mais son regard était adouci par une nuance de coquetterie. Quand elle avait parlé, il laissait toujours s’écouler un intervalle plus ou moins long avant de répondre.

— Je m’étais toujours figuré que le tir à l’arc était un ennui, commença Grandcourt du ton traînard d’un homme blasé.

— Êtes-vous converti maintenant ? demanda Gwendolen.

— Oui, puisque je vous ai vue. Dans ces sortes de choses, les gens manquent généralement le but et sourient niaisement.

— Je vous suppose tireur de première force.

(Pause pendant laquelle Gwendolen ayant rapidement examiné Grandcourt, le décrit à un auditeur invisible.)

— Je ne tire plus.

— Oh ! alors vous êtes un homme redoutable. Ceux qui ont fait un exercice quelconque et l’ont quitté, méprisent généralement les autres, comme s’ils portaient des habits hors de mode. J’espère que vous n’avez pas renoncé à faire des folies ; car, moi, j’en fais beaucoup. (Pause.)