Page:Eliot - Daniel Deronda vol 1&2.pdf/127

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— Pourquoi êtes-vous triste ?

— Ce pays est épouvantable. Il n’y a rien à y faire. C’est pour cela que je me suis mise à tirer de l’arc. (Pause).

— Vous vous en êtes fait la reine. Je crois que vous obtiendrez le premier prix.

— Je n’en sais rien. J’ai de redoutables rivales. N’avez-vous pas remarqué comme miss Arrowpoint tire bien ?

(Nouvelle pause où Gwendolen se dit qu’il est des hommes qui choisissent pour femme celle qu’ils admirent le moins, et qu’après tout, elle est libre de ne pas accepter Grandcourt.)

— Miss Arrowpoint ? Non ; c’est-à-dire, oui.

— Retournons voir où en est le concours. Venez-vous ? Tout le monde est là-bas maintenant. Je crois que mon oncle me cherche.

Gwendolen avait besoin de changer la situation, non que le tête-à-tête lui fût désagréable, mais elle se sentait moins maîtresse d’elle-même que d’habitude. Il ne fallait pas que Grandcourt s’imaginât qu’il lui semblait remarquable, et que, parce qu’on spéculait sur lui pour le mariage, il crût qu’elle voulait se jeter à sa tête.

— Vous avez manqué la flèche d’or, Gwendolen, dit M. Gascoigne. Miss Juliette Fenn a huit points de plus que vous.

— Tant mieux. Je ne serais pas satisfaite si tous les prix avaient été pour moi, dit Gwendolen avec jovialité.

Comment aurait-elle été jalouse de Juliette Fenn, si insignifiante en toute autre chose que le tir, et dont l’air commun et le front fuyant la faisaient ressembler au moins intelligent des poissons ?

L’animation et le plaisir étaient grands dans les groupes ; la conversation était devenue générale, et Gwendolen, qui tenait à voir tout ce qui se passait autour d’elle, aperçut un inconnu qui présentait Klesmer à Grandcourt. Cet