Page:Eliot - Daniel Deronda vol 1&2.pdf/143

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trouva Lush tellement à sa convenance, qu’il en fit son premier ministre, et qu’il ne lui laissa ignorer aucune de ses affaires, même les plus personnelles.

Une habitude de quinze années avait mis de plus en plus Grandcourt dans la nécessité d’avoir retours à la dextérité de Lush, et Lush, de son côté, ne pouvait plus renoncer à la vie de luxe et d’oisiveté à laquelle ses transactions pour le compte de Grandcourt l’avaient habitué. Je ne saurais dire si cette longue vie commune avait accru le manque d’égards de Grandcourt pour son compagnon, car, dès le commencement, ce manque avait été absolu ; mais elle l’avait convaincu que, s’il le voulait, il pourrait rosser Lush. Cependant il ne rossait personne, pas même un animal, car il aurait fallu, pour se livrer à cette opération, prendre une attitude compromettante ; seulement, il disait des choses qui auraient pu l’exposer à être rossé lui-même si son confident eût été de caractère indépendant. Mais trouvez donc un fils de vicaire (qui a mesuré le calicot à sa femme et à ses filles, pour pouvoir envoyer son rejeton mâle à Oxford), ayant conservé un caractère indépendant, quand il est résolu à ne se nourrir que de plats de choix, à ne monter que de bons chevaux, à vivre enfin dans le luxe, sans travailler ? Autrefois, Lush avait passé pour un lettré et il avait encore l’air de savoir quelque chose quand il n’essayait pas de trop s’en souvenir. Les arts et les sciences qui adoucissent les mœurs sont les vénérables préparations pour arriver aux sinécures ; or la confortable position actuelle de Lush était aussi bonne qu’une sinécure, puisqu’elle n’exigeait pas plus que l’ombre d’un savoir disparu. Il n’ignorait pas qu’on le tenait pour rossable, mais il mettait cette appréciation au nombre des excentricités du caractère de Grandcourt. L’amour de Lush pour le bien-être était satisfait pour le moment, et si, en lui servant ses puddings, on les roulait d’abord dans la pous-