Page:Eliot - Daniel Deronda vol 1&2.pdf/149

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Mais aurait-elle à se repentir d’avoir cédé à l’impulsion qui l’avait fait s’exprimer si librement ? Impossible de savoir si Grandcourt en avait été ou non offensé ; ses manières n’avaient pas changé, et Gwendolen avait assez de finesse de perception pour savoir que ce n’était pas pour elle un fil d’Ariane ; elle n’en avait pas moins peur de lui.

Elle n’était encore venue à Diplow que pour goûter, et, comme certains points de vue du parc étaient fort pittoresques, quand le lunch fut fini et que le soleil commença à descendre sur l’horizon, lady Flora Mollis proposa de faire une petite promenade. C’est alors que d’excellentes occasions s’offrirent à Grandcourt de s’écarter avec Gwendolen et de lui parler sans témoins. Mais non ! il est vrai qu’il ne s’adressa particulièrement à aucune autre ; mais il semblait n’avoir rien de plus à lui dire que ce qu’il lui avait fait entendre dans le précédent entretien.

Quand la société eut fait le tour du parc, on s’arrêta près d’une pièce d’eau pour admirer les talents de Fetch, à qui l’on ordonnait d’aller chercher un lys au milieu de l’eau et de le rapporter. Grandcourt, qui se trouvait un peu à l’écart à côté de Gwendolen, lui montra d’un geste un monticule planté d’arbrisseaux américains où l’on arrivait par un sentier rapide et lui dit de son air blasé :

— Tout cela est ennuyeux. Montons-nous là-haut ?

— Volontiers, puisque nous sommes en exploration, dit Gwendolen, chez laquelle un sentiment de crainte se mêlait au plaisir que lui causait cette proposition.

Le sentier était trop étroit pour qu’il pût lui offrir le bras ; ils marchèrent donc en silence l’un derrière l’autre. Lorsqu’ils eurent atteint le sommet, Grandcourt dit :

— Il n’y a rien à voir ici ; cela ne valait pas la peine de monter.

Gwendolen demeurait muette ; elle relevait les plis de sa robe et serrait convulsivement le manche de sa cravache qu’elle avait prise, sans trop savoir pourquoi.