Page:Eliot - Daniel Deronda vol 1&2.pdf/162

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vait que la détermination devenait redoutable. Au bout du compte, elle se rassurait, dans sa persuasion que ce mariage serait pour elle une ère de plus grande liberté.

Le lieu du rendez-vous était une vaste pelouse appelée Green-Arbour, dont un rideau de forêt en amphithéâtre formait le fond. C’est là que les domestiques apportèrent les provisions et dressèrent les tables. Un garde-chasse devait guider les archers afin de les tenir à la distance voulue et les empêcher de dépasser la limite fixée, car on devait tirer en marchant. Gwendolen portait le même costume vert et blanc qu’elle avait lors du concours de Brackenshaw-Castle ; Grandcourt était continuellement à côté d’elle ; mais, en voyant leurs regards et leurs manières, on n’aurait pu dire si, depuis leur premier entretien, leurs relations s’étaient modifiées. Avant le déjeuner on fit une petite excursion. Au retour, vers Green-Arbour, Grandcourt dit à Gwendolen :

— Savez-vous depuis combien de temps je ne vous ai vue dans cette toilette ?

— La dernière réunion a eu lieu le 25, dit Gwendolen en riant, et nous sommes au 13. Quoique je ne sois pas bien forte en calcul, j’oserais affirmer qu’il y a quelque chose comme trois semaines.

(Légère pause.)

— C’est une grande perte de temps, dit Grandcourt.

— Que ma connaissance vous a causée ? Vous me servez là un joli compliment !

(Nouvelle pause.)

— C’est à cause du gain que je sens la perte.

Cette fois, ce fut Gwendolen qui se tut.

— Il a réellement de l’esprit, se disait-elle ; il ne parle jamais stupidement.

Son silence était si peu habituel, qu’il lui parut la plus favorable des réponses, et il continua :