Page:Eliot - Daniel Deronda vol 1&2.pdf/170

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— La raison, maman, c’est que je le veux.

— Mais pourquoi ?

— Parce que je veux partir.

— As-tu donc été offensée de ce que M. Grandcourt soit demeuré loin de toi pendant la journée ?

— Il est inutile de me faire des questions. Je n’épouserai pas M. Grandcourt ; ne me parlez donc pas davantage de lui.

— Mais que dirai-je à ton oncle, Gwendolen ? Considère la position dans laquelle tu me mets ! Hier soir, tu lui as laissé croire que tu te décidais en faveur de M. Grandcourt.

— Je suis extrêmement peinée de vous causer cet ennui, chère maman ; mais je n’y puis rien. Quoi que vous puissiez penser ou dire, vous et mon oncle, je ne changerai pas de résolution et n’en donnerai pas le motif. Peu m’importe ce qui en résultera ! peu m’importe de ne jamais me marier ! Cela ne vaut vraiment pas la peine que je m’en préoccupe. Tous les hommes sont mauvais et je les hais.

— Mais, Gwen, faut-il donc que tu partes ainsi ? dit madame Davilow désolée et comme une âme en peine.

— Maman, ne m’empêchez pas de faire ce que je veux. Si vous avez jamais éprouvé de la peine en votre vie, souvenez-vous-en et ne vous opposez pas à mes projets. Si je dois être malheureuse, eh bien, que la faute en retombe sur moi seule !

La mère fut réduite au silence ; elle comprit qu’il fallait se résoudre à laisser partir sa fille. Toute la soirée fut employée à faire les malles, et, le lendemain, au point du jour, madame Davilow accompagna Gwendolen à la station du chemin de fer. Elle était bien triste, car sa fille lui parla peu. Depuis vingt-quatre heures, elle avait subi de telles épreuves qu’elle s’était endurcie, et que la peine de sa mère comptait pour peu de chose dans son esprit. Les romans qu’elle avait lus, bien qu’ils eussent eu la pré-