Page:Eliot - Daniel Deronda vol 1&2.pdf/200

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anéantie par la terreur, en s’apercevant qu’elle avait été vue, se laissa tomber sur le sable et se couvrit la figure comme pour se cacher. Bientôt il fut près d’elle et lui dit avec bonté :

— Ne craignez rien !… Vous êtes malheureuse !.. Je vous en prie, ayez confiance en moi… Que puis-je faire pour vous aider ?

Elle releva la tête, le regarda et le reconnut. Après un silence de quelques instants, elle dit d’une voix basse et avec un léger accent étranger : — Je vous ai déjà vu !… Puis elle ajouta comme se souvenant d’un rêve : — Nella miseria !

Deronda, qui ne saisissait pas le sens de ses pensées, la crut affaiblie par le chagrin et le besoin.

— Est-ce vous qui chantiez, reprit-elle avec hésitation, « Nessun maggior More »…

Ces mots, prononcés douloureusement, résonnèrent aux oreilles de Deronda comme la mélodie la plus tendre.

— Oui, dit-il, je chante souvent cet air. Mais je crains que vous ne deveniez malade en restant plus longtemps ici. Entrez dans mon canot et permettez-moi de vous conduire en lieu sûr. Laissez-moi vous débarrasser de ce manteau mouillé.

Elle tressaillit à ces mots, sans lâcher cependant le vêtement qu’elle retenait avec ténacité. Ses yeux ne quittaient pas le visage de Deronda et semblaient dire : « Vous paraissez on ; peut-être est-ce l’ordre de Dieu ? »

— Fiez-vous à moi. Laissez-moi vous secourir. J’aimerais mieux mourir que de vous faire du mal.

Elle se leva et tâcha de retirer de l’eau son manteau imbibé, mais elle le laissa retomber ; il était trop lourd pour ses bras fatigués. Sa petite figure était des plus touchantes.

« Grand Dieu ! se dit intérieurement Deronda, agité au