Page:Eliot - Daniel Deronda vol 1&2.pdf/208

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un penchant naturel auquel leur désintéressement et leur indépendance n’avaient mis aucun obstacle. C’était assez pour elles de suivre leur route ordinaire et d’aller à l’Opéra quand Hans venait les voir.

Quelqu’un qui, ce soir-là, aurait vu ces quatre femmes, n’aurait pas désiré pour elles un changement dans leur manière de vivre. Toutes étaient également petites et proportionnées à leur chambre en miniature. Madame Meyrick lisait à haute voix un livre français : c’était une aimable petite femme, demi-Française, demi-Écossaise, articulant fort bien les mots. Quoiqu’elle n’eût pas encore cinquante ans, ses cheveux crêpés, couverts d’un bonnet à la quakeresse, étaient déjà gris, mais ses sourcils étaient demeurés aussi bruns que les yeux qu’ils surmontaient ; sa robe noire, taillée comme une soutane de prêtre, avec sa rangée de boutons, convenait à sa proprette et mignonne personne d’à peine cinq pieds de haut. Les filles ressemblaient à leur mère, excepté Mab, qui avait les cheveux blonds et le teint clair de Hans, avec un front bombé, irrégulièrement formé et une étrangeté de physionomie qui rappelait son frère. Tout en elles était correct : depuis le nœud de leurs cheveux coiffés à la chinoise, jusqu’à leurs jupes grises dans leur puritanisme opposé à la mode, qui, à cette époque, aurait exigé que quatre circonférences féminines remplissent l’espace libre du parloir de devant. Le seul être de son espèce, gros et gras, que l’on voyait dans la chambre, était Hafiz, le chat angora, confortablement installé sur le coussin de cuir d’une chaise, ouvrant de temps en temps ses grands yeux pour voir si de plus petits animaux ne venaient point commettre de dégâts.

Le livre que madame Meyrick avait devant elle, était l’Histoire d’un conscrit, d’Erckmann-Chatrian. Elle venait de le finir, et Mab, qui avait laissé tomber son ouvrage et qui avançait la tête pour fixer ses yeux sur la lectrice, s’écria :