Page:Eliot - Daniel Deronda vol 1&2.pdf/252

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Klesmer, qui était assis devant la table, à feuilleter une partition, se leva, fit quelques pas, et dit :

— Voilà qui est admirablement senti, et je vous en suis reconnaissant. Mais je ferais mieux de partir ; je sens que je le dois. Vous pouvez très-bien continuer sans moi ; votre opérette est sur ses pieds,… elle peut marcher seule. La compagnie de votre M. Bult me va wie die Faust auf’s Auge[1]. Je néglige mes intérêts. Il faut que j’aille à Pétersbourg.

Point de réponse.

— Vous convenez avec moi, n’est-ce pas, que je dois partir ? reprit-il avec un peu d’animation.

— Oui, si vos affaires et vos sentiments l’exigent. Je m’étonne seulement que vous ayez consenti à nous accorder une si grande partie de votre temps l’année dernière. Je n’ai considéré votre condescendance à venir ici que comme un sacrifice.

— Pourquoi un sacrifice ? demanda Klesmer, qui avait été se mettre au piano et qui lui fit rendre, comme un écho, une mélodie composée par lui sur ces paroles de Heine : Ich hab’ dich geliebt und liebe dich noch[2].

— Voilà le mystère ! dit Catherine très agitée et déchirant une feuille de papier en petits morceaux, sans savoir ce qu’elle faisait.

— Vous ne le concevez pas ? reprit Klesmer en croisant les bras.

— Je ne conçois rien de probable.

— Alors, je vais vous le dire. C’est que, pour moi, vous êtes la femme unique, la dame dont je porte les couleurs entre mon cœur et mon armure.

Les mains de Catherine tremblaient tellement, qu’elle ne put continuer à déchirer son papier, ni dire un mot. Klesmer reprit :

  1. Comme un coup de poing sur l’œil.
  2. Je t’ai aimée, et je t’aime encore.