Page:Eliot - Daniel Deronda vol 1&2.pdf/266

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chantez… comme on le fait dans un salon. Eh bien, ma chère demoiselle, il faudra désapprendre tout cela. Vous ne vous êtes pas encore imaginé ce que c’est que la perfection. Il est indispensable que vous sachiez la lutte que vous aurez à soutenir ; car vous serez forcée de soumettre votre esprit et votre corps à une contrainte continuelle. Ne pensez pas à la célébrité : chassez ce mirage et ne visez qu’au bien. Il est incontestable que vous n’aurez point d’appointements sur-le-champ et que de longtemps vous ne trouverez pas d’engagement. Vous aurez besoin d’argent pour vous et votre famille. Mais on peut en trouver, termina-t-il en faisant claquer ses doigts, comme pour chasser une trivialité.

De pourpre, Gwendolen était devenue blême. Son orgueil venait d’être cruellement frappé et ces derniers mots lui furent amers. Cependant, voulant dominer son émotion, elle fit quelques pas, prit une chaise, et invita Klesmer à en faire autant. Elle regrettait de l’avoir appelé ; quant à lui, préoccupé de son sujet, il continua sans changer de ton.

— Maintenant, demandez-vous, quelle issue espérer ? Il est bon de vous ouvrir les yeux et je vais vous parler en toute conscience. L’issue sera incertaine, et — très probablement — ne vaudra pas grand’chose.

Les yeux de Gwendolen papillotèrent ; mais, craignant de montrer la moindre faiblesse, elle s’efforça de demeurer calme. Elle rassembla toute son énergie et dit d’une voix ferme :

— Vous pensez alors que je manque complètement de talent, et que je suis trop âgée pour commencer ?

Klesmer hésita, toussa, se moucha, et termina par un emphatique « oui ! » — Oui, il aurait fallu commencer il y a sept ans au moins ; c’était le travail de l’âge printanier, avant que les habitudes fussent contractées.

— Je ne prétends pas au génie, dit Gwendolen, qui